.13 mai 2020
par Didier Stiers

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Les métiers de la musique se concertent… enfin !

Ça bouge, dans le secteur musical ! Crise sanitaire aidant, la structuration dont il fait l’objet par ses acteur·ice·s a pris de l’ampleur. Les fédérations se multiplient, rassemblées désormais sous la coupole d’un comité de concertation. A quoi ça sert ? Qui fait quoi ? Didier Stiers nous propose un petit défrichage dans ce qui, uniquement au premier abord, ressemble à une jungle un chouïa inhospitalière.

Pas facile de se faire entendre quand on se perd dans la lasagne institutionnelle, cette spécialité typiquement belge. A fortiori quand les initiatives partent de partout, sans trop de réflexion préalable. Mais c’est vrai, en face, ça fait touffu, cette Administration Générale de la Culture et ses « départements opérationnels » (à ne pas confondre avec ses « services transversaux »), à l’heure où l’on s’active aussi sur le chantier des nouveaux organes consultatifs, ces Conseil Supérieur de la Culture, commissions d’avis et autres chambres de concertation sectorielles. De quoi donner l’envie d’apprendre tout Kafka par cœur…

Or, comme le souligne François Custers, coordinateur artistique musique de l’Atelier 210 : « Le secteur de la musique est suffisamment peu regardé pour qu’il subisse aussi ce système organisationnel à l’image de notre pays. Un système souvent rendu complexe, peut-être trop complexe sans véritable besoin, sans parler de la position de certaines personnes qui ne répond à aucune logique. » Dans le secteur lui-même, il rappelle le constat qui s’impose d’emblée : « La voix de beaucoup, beaucoup d’acteur·ice·s dans les corps de métiers qui font ce secteur en Fédération Wallonie-Bruxelles n’était jamais entendue. Alors même qu’iels représentent des pans importants du secteur. En même temps, ici et là, c’est encore très individualisé : les gens parlent peu entre eux, ou connaissent assez peu la réalité d’autres qui font le même métier. Après, on vit aussi dans un système très capitaliste, qui pousse à une désunion de manière naturelle… »

Beaucoup plus de concertation

Toutes ces réflexions ont porté leurs fruits. Une nouvelle coupole en l’occurrence, « sous laquelle peuvent se rassembler tous les acteur·ice·s qui créent le tissu des corps de métiers de la musique. ». Ce CCMA, pour Comité de Concertation des Métiers des Musiques Actuelles, rassemble six représentants d’unions et de fédérations. Celles des bookeur·euse·s et managers, des attaché·e·s de presse, des labels indépendants, des technicien·ne·s du spectacle, des organisateur·ice·s de concerts et, bien sûr, des artistes.

« Les bookers et les managers, commente François Custers, viennent de créer la FBMU, la Fédération des Bookers et Managers Unis, qui rassemble déjà plus de 50 structures. Iels ont compris l’intérêt de se fédérer et d’être représentés ensuite au sein d’un comité de concertation. Pareil pour les attaché·e·s de presse qui sont une petite dizaine en FWB. Là, on a quasi tous les plus importants du secteur de la musique. Les labels indépendants belges sont presque tous représentés par la FLIF et la BIMA qui est plutôt flamande. L’ATPF, pour les technicien·ne·s du spectacle liés – fort voire uniquement –  aux concerts, nous a aussi envoyé une représentante. Le FACIR (ndlr : prononcez comme pour l’adepte de la planche à clous), lui, est le seul « endroit » à l’heure actuelle qui porte la parole d’un·e artiste musicien·ne en FWB. Et puis il y a les concerts, au travers de la fédération Court-Circuit que je représente, et qui rassemble pour l’heure 43 salles, organisateur·ice·s indépendant·e·s et festivals adhérents. »

Les attaché·e·s de presse aussi

Si la présence de certains de ces six représentants autour de la table du CCMA n’a rien d’étonnant, on peut souligner en particulier celle des attachés et attachées de presse, dont la voix est portée par Olivier Biron. Cette structuration du secteur sacre en même temps la naissance de l’Union des Attaché·e·s de Presse Indépendant·e·s de la Musique FWB. Elle est notable car elle met en lumière un métier qui a beaucoup évolué au cours des deux dernières décennies. Au point parfois qu’on n’en a plus qu’une image réductrice, y compris au sein même du secteur.

« On a quasi tous les plus importants du secteur de la musique », nous disait François Custers. En clair : Laetitia Van Hove (Five Oh), David Salomonowicz (Com As You Are), Catherine Grenier (Music & Art Promotion), Katia Mahieu (Kat’s Eyes), Laurent Walschot (Urban Invaders), Marc Radelet, Christophe Waeytens (Gran Via), ainsi donc que Valérie Dumont et Olivier Biron (This Side Up).

« On ne s’était jamais mis autour de la table auparavant, commente ce dernier, c’est donc une chose tout à fait positive. On se rend compte aujourd’hui – dans la situation où nous nous trouvons – qu’il existe beaucoup de sujets autour desquels se rencontrer, échanger, partager… Et de nos premiers échanges, il ressort d’abord que ce statut d’attaché·e de presse n’est pas tout à fait clair, notamment pour les gens en dehors du milieu de la musique et pour les politiques. »

Or on est loin aujourd’hui du métier « traditionnel » d’il y a dix ou 20 ans, qui consistait simplement à mettre en relation artistes et journalistes. Pour Catherine Grenier, il serait même le plus évolutif de tous ceux que compte le secteur de la musique : « Il évolue d’une manière fulgurante et sans arrêt, avec les réseaux sociaux, Internet, Spotify et toutes les plateformes. Un article dans un média national crédibilise aussi ce que nous faisons et ce que fait un artiste, mais notre artiste « n’existe pas » s’il n’a pas assez de vues, s’il n’a pas assez d’abonnés… Il y a donc là un énorme travail supplémentaire à superviser, surtout quand l’artiste est en autoproduction, ce qui est de plus en plus le cas. Si les relations de presse restent le cœur de notre métier, nous sommes aujourd’hui entre la presse, l’artiste, le label, la distribution, le·la booker, le·la manager… C’est peut-être la seule profession centrale, au milieu de toutes les autres : notre travail, c’est de développer notre artiste, mais sur tous les axes. » A cette problématique de la méconnaissance du métier et de sa reconnaissance s’en ajoutent d’autres, comme celles des budgets et des tarifs qui stagnent depuis des années…

En front commun 

La période est assez propice, la crise sanitaire sert de révélateur et d’accélérateur. Il faut imaginer qu’en une semaine, l’idée d’une structure représentative s’est transformée en quelque chose de très concret. Le but du jeu est maintenant pour le CCMA de devenir un interlocuteur plus privilégié des cabinets ministériels. Indispensable si l’on veut que soit menées un jour des politiques culturelles prenant en compte la réalité de chacun. « C’est-à-dire, reprend François Custers, les grands invisibilisés au sein d’une problématique générale de la culture, qui est déjà pas mal invisibilisée si on prend le simple exemple de ce qui se passe au niveau fédéral ! Nous aurons la capacité de produire une information unifiée, intelligible et de porter une voix commune sur les problèmes. »

Faut-il le préciser, ces problèmes sont en nombre. Olivier Biron : « Ce qu’on aimerait bien faire remonter aux autorités aussi, c’est qu’on est dans une situation extrêmement précaire dans la mesure où on travaille dans le milieu culturel, on défend les projets de la FWB et ça, c’est notre savoir-faire. Ou aujourd’hui, il n’y a plus de concerts, les sorties sont reportées, et quand on s’en occupera plus tard, on ne pourra pas prendre d’autres projets en main. » A titre d’exemple, François Custers cite encore la question des quotas dans les médias de service public. « Historiquement, c’est un combat qui a été mené par le FACIR en tant que fédération reconnue pour la défense des musicien·ne·s. Elle n’a pas obtenu gain de cause les deux fois où elle a été jusqu’au bout, c’est-à-dire le Parlement wallon. La législation n’a pas changé et les artistes sont toujours aussi critiques quant à leur diffusion en FWB. Après un premier tour de table avec toutes les fédérations, on a vu que c’était la première problématique identifiée pour toute la profession. Là, ce n’est donc plus un combat qui sera le seul fait du FACIR, il y a une vraie possibilité de front commun de tous les métiers de la musique indépendants en FWB ! »

Plus d’infos sur le CCMA sur www.ccma.be