
Vivre de la musique en Belgique : komankonfé ?
En 2018, est-ce concevable ou plutôt utopique de gagner correctement sa vie en tant que musicien·ne en Fédération Wallonie-Bruxelles ? Pour tenter d’y voir plus clair, nous avons demandé à quatre musicien·ne·s aux profils variés comment iels s’en sortaient financièrement.
“J’ai la chance de vivre de la musique depuis un an. Mais je pense que s’il n’y avait pas ce “statut d’artiste”, je n’arriverais pas”, nous confie Alice Vande Voorde. Du haut de ses 27 ans, la musicienne qui se définit elle-même comme une “mercenaire” est passée par un nombre incalculable de groupes avant de décrocher le précieux sésame. Karin Clercq, Polyphonic Size, Kouzy Larsen, Joy, Goodbye Moscow, Kate & Joe BB, Valko, La Chiva Gantiva, le projet pour enfants Michaël et moi, le coverband Rock & Girls… Après deux ans passés à cumuler les contrats pour avoir accès au fameux “statut”, Alice fait un mini burn-out. “Ça s’est fini par deux mois de dégoût total de la musique, c’était violent, soupire-t-elle. Je ne voulais plus faire de musique. Mais à partir du moment où je m’y suis mise, je n’avais pas envie d’arrêter en si bon chemin. (…) Niveau sous, ça laisse transparaître que ce n’est pas qu’avec quelques contrats que ça passe. “
Benjamin Schoos a, lui aussi, fameusement roulé sa bosse. Né en solo sous le pseudonyme de Miam Monster Miam en 1998, il a depuis multiplié les casquettes, les collaborations et les initiatives, tant à la tête de son label Freaksville qu’à de celle de Radio Rectangle, aux côtés de Lio ou Jacques Duvall, ou encore derrière Patrick Ouchène à l’Eurovision. “Ce que je retiens, c’est que quand tu es musicien·ne, il y a énormément de secteurs différents qui peuvent donner lieu à du travail.” Musicien·ne live, studio, à l’orchestre, interprète, auteur·ice-compositeur·ice, enseignant·e, réalisateur·ice: la liste est longue comme le bras. “Dans mon cas, je ne sais plus faire la part des choses, confesse-t-il. Un aspect du métier tire l’autre. Je vis en partie de mes revenus de musicien, quand je tourne. J’ai aussi des revenus sur mes droits d’auteur, parce qu’en 20 ans, j’ai écrit beaucoup de choses. (…) La gestion collective de droits permet à des auteur·ice·s de taille locale comme moi de vivre un peu. C’est l’accumulation de ces revenus qui m’a permis de tenir. D’avoir une vie plus ou moins précaire, mais quand même…”
Pour une poignée de chanceux·euses, les droits d’auteur peuvent, un temps du moins, mettre à l’abri des soucis financiers. Ça a notamment été le cas pour les Bruxellois de BRNS: “Il y a clairement des mois plus difficiles que d’autres, témoigne Timothée Philippe, batteur-chanteur du groupe. Mais je me suis accommodé à ce rythme-là, je sais me satisfaire de peu. Et je peux dire merci la Sabam: l’année des premières retombées, on a gagné environ 7000 euros chacun. Mais on avait beaucoup tourné, ce sont les droits sur le live qui nous rapportent le plus…”
Une chose est sûre en tout cas: quand il s’agit de lancer un groupe, un projet, il ne faut pas ménager l’investissement, tant humain que financier, pour pouvoir espérer le voir décoller. “À l’heure actuelle, c’est rassurant d’avoir un travail à côté pour pouvoir développer, soutient Benjamin Schoos. S’il y a de l’investissement à faire, et que tu dois vivre dessus en plus, c’est compliqué. Il faut se donner 2-3 ans pour voir, je pense que ce n’est pas du luxe d’avoir une petite sécurité. D’avoir le temps de s’ajuster. Ou alors il faut se préparer à une vie qui est faite de temps morts, d’argent qui ne rentre pas toujours…”
Et puis il y a des cas comme celui de Manuel Hermia, saxophoniste et flûtiste jazz aux mille projets (Slang, Le Murmure de l’Orient, Orchestra Nazionale Della Luna, Jazz for Kids…), qui a “toujours vécu de la musique”, mais qui s’est d’abord assuré une sécurité financière en multipliant les collaborations, notamment dans la variété. “Ce n’est pas toujours les musiques qu’on préfère, mais ça fait vivre. Et puis, entre 30 et 40 ans, progressivement, je me suis dit que j’avais envie de faire mes projets à moi. (…) J’ai bénéficié du statut pendant pas mal d’années, ça m’a vraiment aidé pour pouvoir investir dans ma vie artistique personnelle. Laisser tomber ce que je n’aimais pas, pouvoir mettre toutes mes billes sur ce en quoi je croyais.” Mais aujourd’hui père d’un enfant et du haut de ses 50 ans, Manuel a choisi de retrouver une forme de stabilité en s’octroyant un mi-temps comme prof au Conservatoire. “Quelque part, ça ne change pas tellement, sourit-il. Je ne le vois pas comme un job. Je le vois, au sein de la musique, comme une roue de transmission.”
“Un des secrets, à notre époque, pour se nourrir soi-même et en vivre pleinement, c’est de décliner ses compétences”, continue le jazzman. Ce que confirme Alice Vande Voorde: “Il faut être super indépendant·e dans ce métier. Aller chercher les informations. Le statut est super obscur. Quel type de contrats? Comment gagner un max sur un contrat et qu’il compte pour le statut? (…) En plus de Smart ou T-heater (devenu Amplo, ndlr), des associations comme le Facir, qui viennent des travailleur·euse·s, sont super importantes pour faire avancer le schmilblick.” Et la bassiste de terminer sur une note d’optimisme: “Mes conseils à un·e jeune musicien·ne qui se lance? Il faut y croire. Il faut aussi être capable de faire un certain nombre de compromis: ceux-ci peuvent se transformer en révélations…” Amen.