.09 septembre 2019
Par Kevin Dochain

Partager sur

La technologie au service de la musique

Court-Circuit était présent lors de la dernière convention Wallifornia MusicTech, grand raout des passionné·e·s de musique et de technologie, à Liège. On fait le point sur quelques-unes des initiatives les plus marquantes qui y ont été présentées, tant à destination des pros que des musicien·ne·s.

Liège, début juillet. En marge des Ardentes et aux quatre coins de la ville – du Théâtre de Liège au Leansquare, en passant par le Reflektor et le site du festival – se tenait une nouvelle édition du Wallifornia MusicTech, où se retrouvait le gratin mondial des professionnel·le·s de la “music tech”. Soit des startups, des développeur·euse·s, des hackeur·euse·s, mais aussi des labels, des programmateur·ice·s, des agent·e·s et on en passe, qui ont en commun l’ambition de vouloir écrire l’Histoire de la musique de demain à grand renfort de technologie. Avec un “hackathon” pour lancer les hostilités et, en guise de point d’orgue, une journée entière de conférences sur le mode des “TED Talks”, où se sont succédé au parloir des dizaines d’intervenant·e·s internationaux, du responsable innovation des studios Abbey Road, au créateur de l’appli de composition coopérative en ligne (!) Endlesss, en passant par l’iconique Tom Barman ou encore par ce chercheur de l’IRCAM à deux doigts d’inventer l’autotune du futur.

Si sur une journée, on a vu beaucoup de monde tracer des pistes pour la création musicale de demain, des plus convaincantes aux plus anecdotiques, on a aussi entendu beaucoup de promesses pour aider les musicien·ne·s ou les professionnel·le·s de la musique sur son chemin. Comme par exemple avec Groover, startup qui s’emploie à réinventer la promotion musicale et permet aux musicien·ne·s de contacter facilement les médias, les radios, les labels et les pros de la musique. “En tant que manager d’artistes et blogueur, explique le cofondateur Dorian Perron, j’avais l’impression que quelque chose manquait. On avait des problèmes à rentrer en contact l’un avec l’autre. Les artistes avaient deux façons de faire : soit engager un·e attaché·e de presse, ce qui est compliqué car iels sont fort sollicités et rejettent beaucoup de demandes; soit envoyer soi-même des centaines d’emails aux différents curateur·ice·s, le problème étant qu’iels ne recevaient aucune réponse. De l’autre côté, en tant que blogueur musical, je recevais autour de 100 mails par jour alors qu’on n’a que 3000 likes sur Facebook. J’ai fini par virer ma boîte mail, je ne savais pas comment m’y retrouver. Ce qu’on a voulu faire, c’est donner aux musicien·ne·s une façon de faire entendre leur musique, d’avoir du feedback, et pour les influenceur·euse·s, de recevoir de la musique, d’avoir le temps de l’écouter…” Pour faire tourner la machine, Groover fonctionne avec des micro paiements. Soit quelques euros qui garantissent aux musicien·ne·s d’être écoutés et de recevoir du feedback. Et s’iels ne reçoivent pas de réponse endéans les 7 jours, iels sont remboursés. En un an, la startup a déjà convaincu plus de 30.000 artistes et 250 influenceur·euse·s mais ne compte pas pour autant remplacer la promo “à l’ancienne”, elle se voit plus comme un complément: “30% de notre base de données, ce sont justement des attaché·e·s de presse et des labels !”

Avant de pouvoir proposer sa musique aux médias et influenceur·euse·s, il faudrait déjà qu’elle soit disponible sur les différentes plateformes. Pas forcément évident, quand on sait que les Spotify, Deezer, Apple Music & co se fournissent uniquement auprès des labels… et de quelques agrégateur·euse·s indépendant·e·s. iMusician, Tunecore, CDBaby ou Spinnup, qui nous intéresse ici, font tous ce boulot de distribution basique, “à l’aveugle”: tout artiste prêt à dépenser quelques euros peut y déposer sa musique vers les services de streaming et de téléchargement, et espérer rétribution en retour. L’avantage de Spinnup ? C’est qu’il a été lancé par Universal, qui s’en sert notamment pour découvrir de nouveaux talents. “Le marché change, s’enthousiasme Noémie Lambert, manager chez Spinnup. Les majors doivent avoir un œil partout, jusque dans les chambres des artistes. Pour se connecter avec eux depuis la source, la distribution est la réponse. Quand tu veux être écouté, la première étape c’est de la rendre disponible pour un maximum de monde. Universal a lancé Spinnup parce que c’est facile d’y capter les nouveaux musicien·ne·s et d’avoir accès à leur musique.” Quand on sait que 40.000 nouvelles chansons sont ajoutées au catalogue de Spotify chaque jour (!!), il est d’autant plus important que jamais de se démarquer pour se faire remarquer. 

“La règle d’or d’un concert réussi”

De l’autre côté du spectre musical, il y a évidemment les concerts. De ce côté-là, nombreuses sont aussi les startups qui s’échinent à faire avancer le schmilblick. Comme les Suisses de Petzi, l’équivalent de notre réseau Plasma, qui en avaient marre que les services de vente de tickets au sein de ses clubs et festivals soient aux mains de grands groupes internationaux. Et ont donc développé leur propre plateforme de ticketing, open source, pour répondre à ces besoins. “Les datas qu’on accumule en vendant des tickets ont une vraie valeur, soutient Sophie Delalay, et on ne veut pas qu’ils filent vers de grosses entreprises. C’est comme ça qu’on tue la musique indépendante, locale. On veut que ça aille aux clubs et aux festivals qui en ont besoin.” Petzi est prêt à partager son code avec toute fédération qui serait intéressée”: à bon entendeur…

Plus proche de chez nous, mais de l’autre côté de la frontière linguistique, PXL Music est une haute école qui accueille des étudiant·e·s passionné·e·s de musique et de technologie. En partenariat avec l’Ancienne Belgique et le réseau flamand Clubcircuit, le département recherche de l’école a compilé les données de plus de 7000 concerts et 12.000 artistes pour essayer de trouver “la règle d’or d’un concert réussi”. “On s’est rendu compte que les clubs se demandent encore comment exploiter leurs datas, comment en tirer du profit, défend Jonas Kiesekoms, directeur de la recherche. Personne ne bossait dessus. Iels y jetaient un œil une fois l’an, sur des tableaux Excel barbants. On a voulu les aider et on a créé la Venue Intelligence Platform, qui centralise toutes les données privées que ces organisateur·ice·s rassemblaient, et on les a combinées avec les données disponibles publiquement.” Résultat : leur plateforme se targue par exemple de pouvoir prédire le nombre de tickets qui vont être vendus pour tel ou tel concert. Une réelle mine d’or pour les booker·euse·s. Et de quoi assurer de la stabilité chez les clubs qui peinent parfois à arriver à un équilibre financier ? “On veut créer plus d’espace créatif pour les salles, continue le chercheur. La pression sur un club de faire de l’argent va les faire booker des trucs plus “safe”. Or on veut, avec ce projet, leur donner la possibilité de booker de manière plus expérimentale. Si tu es sûr que tu vas vendre un certain nombre de tickets, tu vas pouvoir expérimenter avec les différents paramètres.”

Mais l’omniprésence de données, d’analyses, de prévisions, ne risque-t-elle pas de tuer la spontanéité artistique, qui en fait tout le sel ? Les artistes doivent-iels changer leur manière de faire de la musique ? “Ça doit être pris en compte, oui, mais d’une manière artistique”, défend Noémie Lambert. Même son de cloche chez Jonas Kiesekoms: “On essaie de rester éloigné de la musique en elle-même. Ça peut sonner bizarre, mais je ne veux pas influencer un·e artiste dans ses choix, sur base des algorithmes que je crée. Je veux qu’iels fassent leurs choix artistiques avec une perspective artistique. On entend souvent aujourd’hui “j’écris pour Spotify”, “j’essaie d’optimiser ma chanson pour les playlists”… Je crois que c’est une idée horrible. Tu seras toujours en retard si tu penses comme ça.” Amen.

– Kevin Dochain