.28 septembre 2020
Par Luc Lorfèvre

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Quel avenir pour le streaming live ?

La diffusion de musique en faux ou en vrai direct via le streaming a explosé durant le confinement. Même s’il a montré ses limites et que le géant Facebook annonce vouloir davantage contrôler son utilisation, l’outil a encore son utilité pour les artistes et les salles de concerts. Explications et témoignages.

Tout est parti d’une info un peu alarmiste diffusée par plusieurs webmagazines spécialisés et relayée ensuite dans les médias traditionnels. A partir du 1er octobre 2020, Facebook interdirait les vidéos « dédiées à la création d’un expérience musicale, y compris les diffusions live ». L’assertion, telle qu’elle a encore été retranscrite le 9 septembre par le très influent Traxmag mérite pourtant d’être nuancée. Alors que le confinement a poussé de nombreux artistes, djs et lieux culturels s à se tourner vers le streaming live, Facebook a en effet remis à jour ses conditions d’utilisation et ses règles de diffusion. Mais il y a eu surinterprétation des clauses concernant la diffusion la musique, alors que celles-ci restent pourtant quasi identiques à celles figurant déjà dans un règlement disponible depuis 2018 sur la plate-forme.

Une question de droits

Concrètement, pour un·e interprète ou un groupe qui souhaite streamer sa prestation live, que celle-ci soit privée, donnée dans le cadre d’une résidence ou d’une représentation publique, rien ne change. Cette pratique est autorisée moyennant le respect des accords en matière notamment des droits d’auteur. Pour le dj qui offre un set « en direct » de sa cuisine, rien ne change non plus. Sauf que certain·e·s ont oublié quelques clauses élémentaires. Le livestream n’est en principe autorisé que si la musique jouée par le DJ est entièrement originale, ou s’iel détient les droits nécessaires à son partage. Youtube utilise, du reste, les mêmes restrictions. 

Accords avec la Sabam

Pas de censure donc comme certain·e·s l’ont crié. Par contre, pour jouer et diffuser des morceaux de musique sur Facebook, la règle à retenir est qu’il faut avoir au préalable l’autorisation expresse des ayants droit ou être whitelisté. Une petite piqûre de rappel utile quand on sait que la diffusion de musique live via Facebook ne fait que renforcer auprès du « consommateur·ice » l’impression de gratuité de la musique.  « La Sabam et Facebook ont des accords», rappelle Thomas  Vanlishout, de la Sabam. « Les live musicaux sont particulièrement encadrés. Certes, les rémunérations que la Sabam reçoit des différentes plateformes online restent encore très modestes. Néanmoins, avec le confinement, la Sabam a mis en place pour ses membres une rémunération forfaitaire (de 15 à 75 euros) et supplémentaire (0,001 € par vue) pour les livestreams gratuits  qui ont eu lieu entre le 13 mars 2020 et le 31 août 2020. » 

Conserver le lien avec le public

« L’outil livestream a bien fonctionné chez nous au début du confinement », souligne Jean-Christophe Gobbe, coordinateur du Rockerill à Charleroi.  J’ai proposé moi-même un premier dj set (il mixe sous le pseudo DJ Globul) et nous avons ensuite mis en place avec les autres dj’s résidents du Rockerill un set par semaine diffusé sur notre page Facebook. Le but était de divertir, de garder la tête haute et de conserver un lien, même virtuel, avec notre public. Au début, on faisait plus de 30.000 vues sur un streaming et puis ça s’est un peu perdu car ça venait de partout. Quand les  premières mesures de déconfinement sont arrivées en été, nous avons senti qu’il y avait moins d’intérêt pour le livestreaming. Les gens voulaient sortir, se retrouver à la terrasse d’un café et puis, lorsque ça été permis, assister à de vrais concerts. Le livestreaming perdait un peu de son sens. La réglementation sur Facebook ? J’avoue que c’est  assez compliqué pour les dj’s qui jouent les morceaux des autres. On a eu des dj sets streamés qui ont été coupés par Facebook pour des questions de droits d’auteurs. »

Un outil pour se réinventer

Pour le centre culturel Alter Schlachthof, à Eupen, le livestream s’est imposé en mars dernier comme une forme originale de résilience. « Même si nos portes étaient fermées, nous voulions distraire le public, faire un geste moral et financier pour les artistes et montrer aussi à la communauté germanophone que les subsides alloués à notre centre avaient leur raison d’être. On a organisé des concerts online de groupes émergents n’ayant encore aucun album à leur actif. Comme il s’agissait d’un nouveau répertoire original, la question des droits ne s’est pas posée. Par la suite, nous avons mis sur pied une expo virtuelle, un spectacle de danse online et  des Facebook Live avec Glass Museum ou La Jungle. Juridiquement tout était en ordre », précise Marc Cürtz, le booker maison. « Cette crise nous a beaucoup appris techniquement et ouvre de belles perspectives à moyen et long terme. La diffusion par streaming ne doit pas être systématique mais elle peut être complémentaire. Un Facebook live ne remplacera jamais un vrai concert, mais il peut  enrichir le contenu de nos réseaux sociaux, répondre à une demande du public lorsque le concert est sold-out et servir à une promotion plus large de l’artiste. Nos synergies avec le quotidien en langue allemanique Grenz Echo et la télévision locale BRF Fernsehen  peuvent offrir de beaux débouchés grâce à cet outil. Tout le monde, à commencer par les artistes, peut y gagner. » 

Du bon sens avant tout

Même son de cloche au Rideau Rouge, à Lasne. « Nous n’oublions pas que notre premier vocation est  de réunir dans notre espace artistes et public. La musique est un art vivant », rappelle fort justement Nicolas Fissette, cheville ouvrière de resto/bar/salle de concert du Brabant wallon.  « Néanmoins, cette crise nous a obligés de nous réinventer.  Quelques jours après le confinement, nous avons lancé simultanément un service de livraison de plats à domicile et un Facebook live musical. On a appris sur le tas, nous nous sommes professionnalisés, nous avons enrichi notre offre de services. Pour le streaming , au matériel déjà existant, nous avons investi un montant supplémentaire de 3 à 4.000 euros pour offrir une diffusion de qualité. Ce n’est pas perdu.  Tout en nous focalisant  sur la reprise de la programmation en salle, nous comptons poursuivre l’offre de streaming. Bien sûr, il ne faut pas foncer tête baissée.  Tout se fait en concertation avec les artistes et nos partenaires médias, comme TV Com. On ne va pas streamer la prestation d’un artiste qui a déjà fait l’objet chez nous d’une diffusion online. De même, le groupe qui vient chanter des inédits ou présenter son nouvel album en avant-première ne souhaitera pas que la captation se retrouve sur les réseaux sociaux. C’est du cas par cas. Idem pour le côté juridique et sanitaire, on s’adapte. Mais dans le secteur culturel, tout est aussi question de bon sens et de solidarité. »

Crédit photo : Jürgen Bruynooghe