Réglementer la musique n’est pas réglementer le bruit

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En Wallonie, même si ce n’est pas une volonté politique ferme, le son amplifié et la musique sont toujours réglementés d’une façon similaire au bruit et aux nuisances sonores. A l’étranger, on commence en revanche à distinguer les problématiques et c’est une très bonne nouvelle pour le secteur culturel. 

Questionné sur la « nouvelle » législation concernant le son amplifié en Wallonie, le service de presse du Parlement wallon nous a renvoyé à la consultation générale de la « législation relative au bruit », qui aborde certes les « normes acoustiques pour la musique dans les établissements publics et privés » mais aussi et surtout le bruit des « aéronefs dans les aéroports » et « les valeurs limites du bruit pour les grands axes routiers ». Cela sous-entend-t-il qu’en Wallonie, la musique amplifiée reste automatiquement considérée comme du bruit, autrement dit, perçue comme une nuisance ? Bien sûr que non, pas systématiquement, sans quoi l’on fermerait définitivement les bars musicaux et l’on arrêterait de subsidier les festivals… Reste que chez nous, le son amplifié et les bruits industriels sont toujours réglementés dans un même cadre. Ce qui n’est plus forcément le cas en Allemagne, ni en Angleterre. 

Rappelons que la réglementation du son amplifié (et du bruit) est en Belgique une matière régionale. Même si dans le discours politique, on parle systématiquement de volonté d’uniformisation. C’est pourquoi il existe toujours de sensibles différences entre Bruxelles, la Flandre et la Région wallonne. Nous n’avons pas ici la place pour entrer dans les détails techniques mais disons qu’à la lecture de ces réglementations, la Wallonie s’avère un tout petit peu plus restrictive (ou prudente, selon le point de vue) que Bruxelles et la Flandre. On varie de quelques décibels autorisés, du temps d’exposition permis au son… Des détails mais des détails qui font que l’on peut difficilement parler d’harmonisation, d’autant qu’entre pays européens, cela varie aussi pas mal entre, par exemple, l’Angleterre – relativement tolérante pour le tapage encadré – et la Suisse ou la France, beaucoup plus tatillonnes. C’est d’autant plus discutable que la volonté de réduire la puissance de son dans les lieux socio-culturels et les festivals émane pourtant d’une recommandation sanitaire de l’OMS, l’organisation mondiale de la santé. 

Ce qui est surtout problématique en Wallonie, c’est que contrairement aux autres régions du pays, les représentants du secteur culturel et musical n’ont pas été concertés alors que la loi était en préparation. On s’est inspiré de ce qui se faisait en Flandre et à Bruxelles, des mesures pourtant contestées, et on a mis les gens devant un fait accompli pouvant pourtant les obliger à d’éventuels travaux infrastructurels lourds et coûteux. Avec aussi un effet pervers dont on n’a pas fini de parler : même si ce n’est pas forcément voulu au départ, les bars, discothèques, lieux de concerts et autres festivals se voient toujours de facto associés à la problématique des nuisances sonores. 

A échelle européenne, comme l’a étudié le groupe de travail international « Music is no noise », il a sinon été remarqué que la plupart des réglementations sur l’amplification sonore ne sont « pas adaptées aux réalités du secteur et qu’elles peuvent menacer la diversité et les libertés des lieux de concerts, des clubs et des festivals, de même que leurs diversités artistiques ». On sait en effet que certains styles musicaux, les plus immersifs, sont pratiquement impossibles à exercer sans naturellement dépasser certaines limites imposées. On sait aussi que ces dernières années, un peu partout en Europe, les associations de riverains et les investisseurs immobiliers ont acquis une écoute institutionnelle et politique attentive et donc aussi une force de frappe suffisante pour pouvoir faire fermer des discothèques célèbres et faire encadrer les heures d’ouverture de bars musicaux pourtant bien installés. La bonne nouvelle, c’est que cet aspect-là de la problématique est tout doucement en train de glisser vers quelque chose de plus consensuel, concerté et démocratique. 

Il y a 4 ans, juste après les attentats de Paris, un article de Slate nous apprenait ainsi qu’en France, le ministère des Affaires étrangères avait publié un rapport proposant une nouvelle approche des politiques de la fête, tout spécialement à Paris. Le tourisme nocturne y était présenté non plus comme une nuisance mais comme un atout économique, à valoriser de la même façon que l’œnotourisme et les trips gastronomiques. Ce rapport présentait une petite révolution copernicienne : les riverains se plaignant du bruit émanant des lieux musicaux étaient implicitement considérés comme un véritable frein au développement économique nocturne. Il y était aussi évoqué un principe déjà appliqué à Barcelone et à Berlin mais jusqu’ici nié à Paris (ainsi qu’en Belgique) : l’antériorité. Un proche du dossier le résumait en ces termes dans l’article de Slate : « J’ai reçu en début de mandature un courrier de riverains de la place Pigalle qui me disaient:  « est-ce qu’il pourrait y avoir moins de bruit place Pigalle la nuit ? » En vérité, non, ça fait 150 ans qu’il y a du bruit place Pigalle la nuit donc il y a un principe d’antériorité qui s’impose ! Il y a des quartiers qui historiquement sont dédiés à la nuit depuis la nuit des temps et il faut respecter ça. »

Ce principe a déjà cours à Berlin, où si un promoteur immobilier veut construire un bâtiment à proximité d’un établissement de nuit, c’est à lui de s’assurer de l’insonorisation parfaite des nouveaux logements. C’est aussi vers lui que les autorités dirigeraient un locataire se plaignant du bruit, et non plus vers les propriétaires de la discothèque ou du bar voisins. Après des années de campagne d’information du Music Venue Trust, c’est aussi ce qui est en train de s’implémenter au Royaume-Uni. L’amendement « Agent of Change » est ainsi désormais inscrit dans la planification urbaine :

Si quelqu’un construit ou s’installe à proximité d’un lieu « bruyant » (salle de concert, bar, club mais aussi usine, école ou clocher…), c’est à lui de trouver ses propres solutions pour réduire d’éventuelles nuisances sonores dans son lieu de vie ou de commerce.

C’est un changement drastique puisque jusqu’ici, c’était à celui qui produisait le « bruit » de tout faire pour le diminuer, même si propriétaire de lieu un temps isolé, il se voyait soudainement entouré de nouvelles constructions et de nouveaux voisins. Autrement dit, si ce système avait existé en Belgique il y a quelques années, l’Ancienne Belgique n’aurait jamais été fermée le temps de revoir son insonorisation et le Magasin 4 n’aurait pas eu les mêmes soucis de voisinage. « Agent of Change » est aussi basé sur une idée de médiation a priori (et non a posteriori) : faire en sorte que les promoteurs immobiliers discutent réellement avec le public, le voisinage et les communautés locales avant de s’implanter dans les quartiers. Oui, on a dû attendre 2019 pour ça. 

10 octobre 2019

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Margaux Bernard

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