Le prix des billets de concert a connu une hausse considérable ces dernières années, amplifiée par la crise sanitaire et les pressions économiques. En Wallonie et à Bruxelles, les salles de concert s’efforcent de maintenir leur équilibre financier tout en proposant des tarifs accessibles. Cette démarche est cruciale pour soutenir la scène locale et émergente, tout en faisant en sorte que les concerts de proximité restent des espaces de découverte.
Une hausse des prix inévitable
Le coût des concerts, en particulier pour les grandes tournées, a augmenté de façon alarmante. Une étude récente révèle que les billets ont enregistré une hausse moyenne de 15 % depuis 2019, avec des augmentations atteignant parfois 31 % pour les spectacles internationaux dans les stades. Plusieurs facteurs expliquent cette tendance : des cachets d’artistes de plus en plus élevés, une augmentation des coûts de production (techniciens, sécurité, matériel de scène) et l’introduction de la « tarification dynamique ». Ce système, inspiré des compagnies aériennes, ajuste les prix en fonction de la demande, comme cela a été observé pour des concerts du groupe Oasis, où certains tickets pouvaient atteindre jusqu’à 5000 euros.
Cependant, toutes les salles ne suivent pas cette logique. Le Botanique, par exemple, reste attaché à une politique tarifaire plus accessible, visant à ne pas dépasser certaines limites afin de maintenir un public fidèle. Son programmateur, Olivier Vanhalst, nous l’explique :
Au Bota, nous essayons toujours de proposer un prix de billet le plus bas possible, en tenant compte de l’inflation et de la pression à la hausse des prix des billets, influencée par les agents et le contexte économique que nous connaissons depuis quelques mois, voire quelques années
L’équilibre financier reste donc fragile, et de nombreux concerts sont déficitaires, notamment ceux d’artistes locaux moins connus.
Mettre un ticket qui est trop cher en vente, ça ne rend service à personne. Les salles ne se remplissent pas et au final, tout le monde est perdant. L’artiste joue devant une salle qui n’est pas pleine. C’est à nous d’établir ce qui nous semble être la limite sur ce qu’on ne veut pas dépasser. Parfois un artiste qui veut absolument 5000€ et pas en dessous ne se rend pas compte de tous les frais annexes. En calculant le budget total avec les frais technique, d’accueil, maintenance, on se dit : non en fait si on veut pas faire un prix d’entrée trop élevé en dessous de 25, il faut qu’on reste à 3500 sur l’Orangerie maximum. Et puis là on leur dit désolé, ce sera notre dernière offre. Y compris pour des artistes qu’on veut vraiment..
Sur le papier, on ne fait jamais de concerts avec un budget à perte. Mais en pratique la plupart des Witloof bar sont à perte. Les Rotondes le sont souvent également, mais les Orangerie il faut faire en sorte que ce ne soit pas à perte. Même si on atteint l’équilibre uniquement sur une salle pleine. Il faut tester et parfois prendre des risques, surtout quand on fait de l’émergence. Donc c’est à nous de fixer la limite et parfois de dire, là c’est le maximum de ce qu’on peut mettre. Car on ne veut pas monter au-dessus d’un certain niveau de prix dans l’intérêt de tout le monde.
L’importance des concerts de proximité
Alors que les grandes tournées internationales deviennent de plus en plus inaccessibles pour une partie du public, les concerts de proximité jouent un rôle essentiel dans la découverte de nouveaux talents et dans le soutien à la scène émergente locale. Ces petites salles offrent des opportunités aux artistes locaux de se produire devant un public, avec des billets à des prix plus attractifs, souvent essentiels pour attirer une audience jeune et diversifiée, plus sensible aux prix des événements culturels.
Eve Decampo, de l’Atelier 210, souligne que la programmation locale représente un pari risqué, mais indispensable. Le 210 bénéficie d’une subvention pluriannuelle pour l’art pluridisciplinaire. « Nous devons maintenir un équilibre entre les différentes activités que nous programmons. » Le 210 doit donc jongler entre la notoriété des artistes, le coût de leurs cachets et les attentes du public. De nombreux concerts sont à peine rentables, voire déficitaires. Pourtant, en proposant des événements accessibles généralement en dessous de 20€, l’Atelier 210 permet à des projets musicaux de se faire connaître tout en offrant une programmation culturelle originale avec régulièrement des artistes de l’étranger.
Un écosystème fragile
Le coût réel pour le spectateur est souvent plus complexe qu’il n’y paraît. Une analyse détaillée montre que sur un billet de 15 euros, une grande partie de la somme est répartie entre les coûts artistiques (cachets des artistes, techniciens, etc.) et les coûts de production (personnel, sécurité, assurance, communication). Chaque poste de dépense est crucial à l’organisation de l’événement. Même avec des salles pleines, atteindre l’équilibre financier reste un défi, nécessitant des revenus annexes comme ceux générés par le bar.
Voici un exemple de répartition des coûts pour un billet de concert à 15 euros, basé sur des chiffres réels de trois salles étudiées récemment :
- Coûts artistiques
Artistes : 5,18 €
Techniciens : 2,20 €
Matériel de scène : 1,31 €
Catering : 1,05 €
Unisono : 0,36 € - Coûts de production
Personnel : 1,64 €
Sécurité : 1,76 €
Charges : 0,58 €
Communication : 1,04 €
Assurance : 0,33 €
Pour couvrir un budget de 5000 euros, il faudrait vendre 333 billets à 15 euros pour équilibrer les comptes.
Les salles de concert de proximité sont ainsi confrontées à une double pression : maintenir des prix abordables tout en assurant leur viabilité financière. Une solution réside dans la fidélisation du public local et l’adoption de modèles économiques mixtes, où la billetterie est complétée par d’autres sources de revenus, telles que la vente de boissons ou de produits dérivés.
Une alternative essentielle face aux concerts de masse
Alors que les concerts des grandes stars deviennent des événements de luxe, les concerts de proximité offrent une alternative précieuse pour les amateurs de découvertes et les artistes émergents. Les petites et moyennes salles, bien qu’en proie à des difficultés financières, continuent de jouer un rôle vital dans la promotion de la diversité culturelle. Elles permettent aux spectateurs de découvrir de nouveaux talents tout en contribuant à la vitalité de la scène locale. Ces espaces demeurent donc essentiels pour garantir l’avenir de la musique live, à condition que les défis économiques ne freinent pas cette dynamique.
Bien que ces deux types de concerts (grande tournée internationale et concert de proximité) soient en concurrence, les différences économiques sont flagrantes. Une salle pourrait à ce stade couvrir l’ensemble de son budget avec la vente d’une dizaine de billets de concert sur un concert d’un artiste majeur en tournée internationale. Comme l’a récemment souligné Samuel Chappel, directeur du festival LaSemo lors d’une interview pour L’Echo : « Le public a besoin d’être rassuré ». La tendance actuelle favorise les concerts de masse, pour lesquels le public est prêt à dépenser davantage et se déplacer de plus loin.
Les concerts de proximité jouent un rôle fondamental dans l’émergence de nouveaux talents et la vitalité de la scène musicale locale, offrant des espaces accessibles et diversifiés pour la découverte artistique. Cependant, ces événements ont un coût réel, souvent difficile à absorber pour les petites salles, qui jonglent avec des budgets serrés pour maintenir des prix abordables. Soutenir ces lieux, c’est reconnaître l’importance de la diversité culturelle tout en acceptant qu’un juste prix est nécessaire pour garantir leur pérennité et continuer à offrir des conditions dignes aux artistes de nos régions.