.29 novembre 2020
Par Clément Larue

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Le bar comme clé de voûte financière de beaucoup de concerts ?

A la fin octobre, les autorités régionales et fédérales décidaient la suspension des activités culturelles en Belgique. Un second arrêt difficile pour ce secteur qui peinait à tenir debout durant cet été. Un vide qui pourrait bien prendre plus de temps à disparaître lorsque le secteur culturel s’imagine la reprise future dès une autorisation de reprise. 

Les mesures qui perdureront encore, comme celles déjà en vigueur de ne pas vendre de boissons lors des représentations culturelles, vont impacter la vie culturelle. Cette coupe budgétaire pour raison de mesure sanitaire pourrait barrer la route à la programmation de certains plateaux notamment dans les salles de concert.  Dans les salles du réseau Court-Circuit, la vente de boissons représente 26 % des recettes. Comment se priver d’un quart de son budget en sachant que certaines productions, amenant un public plus large à une salle de petite capacité, comptent déjà sur les revenus du bar pour arriver à l’équilibre ? 

Le Live DMA estime à 70 % la baisse des activités pour le secteur de la musique live en 2020, un préjudice qui devrait normalement se répercuter de manière directe et indirecte sur les années futures. Cette possible mesure d’interdiction de consommer des boissons lors d’une représentation culturelle, si elle s’avère nécessaire pendant tout un temps lors du déconfinement à venir, aurait des conséquences soit sur la diversité des programmations, soit sur le prix des tickets. À moyen et long terme, les répercussions se situeraient même sur les budgets annuels des structures. Un potentiel danger pour des emplois faute de budget suite au manque de rentrées.

Un plafond de verre ? 

Cette option serait de ne plus pouvoir se permettre certain·e·s artistes au cachet plus élevé que la moyenne du lieu de représentation. C’est bien la première peur qui inquiète le Belvédère de Namur : « Sans bar, c’est l’argent des contrats programmes qui sert à payer nos derniers frais. Or, cet argent devrait servir à payer des artistes », explique l’administrateur Bernard Fortz.
Les derniers concerts autorisés en octobre ont montré à quel point tenir une viabilité était difficile avec une jauge réduite ainsi qu’un apport du bar inexistant : « Habituellement on peut arriver jusqu’à 200 spectateur.trice.s, ici avec la distanciation sociale on est à 40 ou 50 maximum. Si à ça on retire le bar (au potentiel réduit suite à la jauge réduite), on ne parvient plus à organiser des productions avec des artistes renommé·e·s ». À l’avenir, ne pas pouvoir bénéficier du protocole Horeca lors de concerts pourrait empêcher l’organisation de ceux-ci comme l’explique Bernard Fortz. Selon lui : « Dans un premier temps, seuls des mesures d’aides, venant de la Fédération Wallonie-Bruxelles ou du Fédéral, pourraient nous tenir la tête hors de l’eau ».

D’un autre côté, les organisateur·rice·s ne se voient pas pour autant arrêter toute activité sans bar. Comme iels le confirment bien : « Il y a une demande du public, et on sent que cela fait du bien aux artistes de jouer ». Résigné mais tout de même heureux d’envisager des concerts, l’administrateur du Belvédère affirme : « On fera l’impasse sur des gros artistes ou avec un cachet élevé. Les groupes plus locaux ou régionaux avec un cachet plus faible feront tourner ces salles à jauge réduite », afin d’éviter les productions à perte. 

Tenter de limiter les frais ? 

Que l’on connaisse de près ou de loin l’organisation d’un événement musical, ce scénario est très peu probable. Les frais fixes comme le matériel ou frais de fonctionnement du lieu resteront inchangés. Et la question d’une rémunération décente des artistes et technicien·ne·s, premières victimes de cet arrêt du secteur, est primordiale.

Un autre aspect serait peut-être celui de la précarisation du milieu. En 2018, sur les 1765 travailleur.euse.s du réseau Court-Circuit, 79% étaient bénévoles. Les employé.e.s et freelances ne sont pas en surnombre face à ces volontaires qui donnent de leur temps. Surtout en considérant un budget annuel, on pourrait imaginer une tendance à parfois vouloir diminuer ces contrats salariés afin de faire table rase sur les coûts. Le festival Francofaune, qui ne compte pas sur les recettes d’un bar lors d’approximativement 98 % de ses productions se verrait quand même impacté indirectement.
Même si les salles disposent de technicien.ne.s payé.e.s sous contrat à l’année, la mise à disposition de ceux·elles-ci lors de coproductions pourrait diminuer selon Florent Le Duc, coprogrammateur et codirecteur du festival. À moyen terme, il estime que : « Les salles pourraient nous demander de prendre ces frais à notre charge, car s’ils n’ont pas de recette d’un bar ils perdront une rentrée aussi ».

Finalement la précarité des contrats, occupés à 8 % par des freelances et à 13 % par des employé.e.s (selon les chiffres 2018 de Court-Circuit) pourrait peut-être s’inverser suite à cette perte de rentrée via le bar. Un changement de statut qui n’arrangerait ni les personnes salariées ni les budgets des productions.

Le public bon payeur ? 

Cette possibilité pourrait être une piste concrète dans l’absolu, si l’on ne tient pas compte de la potentielle baisse du pouvoir d’achat des spectateur·rice·s. La réponse à cette hypothèse se trouve donc dans la contextualisation, comme l’explique Florent Le Duc : « Augmenter le prix des tickets ne doit surtout pas être fait à court et moyen terme. On pourrait avoir une partie du public qui ne pourrait plus se permettre de payer les tickets et donc perdre ces spectateur.trice.s ».
Dans d’autres situations, augmenter le prix des tickets représenterait une hausse si importante qu’elle est totalement inenvisageable. C’est le cas du Zik Zak à Ittre, une structure qui doit payer un loyer, le cachet des artistes, les frais du lieu ainsi que la partie technique. L’une des quatre associées Annick, ne se voile pas la face sur la situation : « Avec jauge réduite et sans un bar : impossible d’organiser des concerts. On perd de l’argent si l’on ouvre avec ces deux mesures combinées ».
De plus, le type de programmation influence, si une majoration du prix du ticket est réalisable ou non : « On organise des concerts avec de petit·e·s artistes et donc augmenter de plus de 5 euros le prix c’est souvent dépasser un seuil «’acceptable’ pour notre public », détaille-t-elle. Dans des salles de petite et presque moyenne capacité où l’on connaît bien son public, la question ne se pose pas.
En revanche, la question pourrait se poser dans la catégorie des grandes capacités qui comptent moins sur un bar et où une petite majoration sera perçue comme mineure étant donné un prix de ticket élevé. Ces grosses productions pourraient donc coûter plus d’argent tandis que les petites subiraient un plafond de verre dans leur programmation ? 

Cette année 2020 n’affiche que 36 % des recettes annuelles gagnées (par les salles du réseau européen Live DMA) et des dépenses plus conséquentes que les rentrées. Le modèle économique des salles de concert pourrait donc être remis en question et devenir dépendant d’aides étatiques afin de garder la tête hors de l’eau et assurer son rôle de fournisseur culturel.
Toutefois, l’entrée en vigueur de protocoles à la place d’interdictions, n’est pas pour tout de suite selon les dires du ministre de la Santé le vendredi 13 novembre en Comité de concertation.