.20 juillet 2020
Par Kevin Dochain

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Sortir un disque ou jouer du ukulélé à ses voisin·es ?

Dans le monde de demain, on voudrait tous avoir un impact minimum sur la santé de la planète. Mais quand on a envie de faire écouter sa musique, quelle est la meilleure approche ? On a tenté de faire le tour de la question.

Ça y est. Avec le confinement, vous avez enfin eu le temps de terminer d’écrire et d’enregistrer l’album qui vous trottait en tête depuis si longtemps. Mais en avez aussi profité pour vous refaire une conscience écologique, si ce n’était pas déjà le cas avant. Alors quand vient le moment de distribuer votre musique, vous vous posez mille questions sur le pourquoi du comment: votre disque, vous allez le sortir en CD, en vinyle, en téléchargement, en streaming ? Laquelle de ces solutions est la moins nocive pour la planète ?

Poser la question, c’est déjà un peu y répondre. Parce que dans un monde où l’on aimerait s’évertuer à faire passer la durabilité avant tout, c’est malheureusement souvent le moindre mal qu’on finit par envisager.

Prenez le vinyle. Ça fait maintenant des années qu’on loue son retour en grâce, ses chiffres de vente en constante augmentation, mais force est de constater qu’il s’adresse toujours à une niche. Et surtout, dans le cas qui nous concerne, que sa production est un véritable désastre écologique. Déjà, il faut savoir que l’ingrédient de base utilisé pour sa conception, c’est logiquement le PVC (le plastique, on le sait de plus en plus, c’est tout sauf fantastique). Le processus de fabrication du disque est d’ailleurs décrit comme “bruyant, sale, utilisant une technologie datant du 19e siècle et impliquant une série de matériaux perturbants pour l’environnement” par Kyle Devine, journaliste au Guardian auteur du bouquin de référence Decomposed, dans lequel il décortique l’“écologie politique de la musique”. Dans une récente enquête, il mettait en outre en évidence que la grande majorité du matériau de base utilisé pour la conception des vinyles à travers le monde provenait d’une seule et unique usine en Thaïlande, qui produit un “pellet” dans des conditions plus que catastrophiques pour l’environnement, vu la politique laxiste en la matière dans le pays. Chouette.

Et le CD alors? Il est en plastique aussi, mais comme il est plus petit et léger, ça devrait déjà être mieux, non? Pas si vite… Si on considère qu’il utilise, boîtier compris, plus ou moins la moitié du poids d’un vinyle, on se rend compte qu’on est loin de faire une économie de taille. Et surtout, il pose à peu près la même question du transport et de l’empreinte écologique de celui-ci, vu les palettes de disques véhiculées d’un bout à l’autre du monde, de l’usine de pressage au·à la distributeur·ice, au magasin jusqu’au fan qui doit se déplacer pour l’acheter, et donc émettre lui aussi son quota de gaz à effet de serre.

C’est quoi alors, la meilleure solution ? Le streaming ? Comme celui-ci se veut totalement dématérialisé, on aurait tendance à croire que son empreinte écologique est faible, voire nulle. Sauf que quand on sait à quel point les serveurs qui lui permettent de tourner sont énergivores, on a vite fait de comprendre que ce n’est pas du tout le cas. C’est bien simple: une ONG, Music Tank, a d’ailleurs calculé en 2012 que streamer un album 27 fois entraînait déjà un coût énergétique supérieur à celui de la fabrication de son équivalent en CD. Transposez cela à votre propre consommation et vous verrez que vous êtes sans doute loin de pouvoir montrer patte blanche (d’accord, à l’heure des catalogues illimités à portée de clic, vous n’écoutez probablement que rarement 27 fois le même album, mais combien d’heures de musique écoutez-vous par jour, par mois?).

Dernière solution: le téléchargement. Qui est peut-être la plus écolo de toutes, puisque s’il implique aussi hébergement et transfert de données plus ou moins carbonifères, une fois que vos morceaux ont atterri sur l’ordinateur de vos fans, il ne reste plus à prendre en compte que l’électricité que celui-ci –ou son lecteur mp3– consomme dans votre bilan carbone. Ouf. 

Alors au final, que penser ? Que la seule solution pour être clean vis-à-vis de la planète, c’est de ne miser que sur les concerts ? Là encore, raté : vu la pollution astronomique qu’impliquent les déplacements aux quatre coins du monde, l’impact est carrément désastreux dans le cadre de grosses tournées. Billie Eilish a d’ailleurs embauché une société qui s’applique à minimiser son empreinte carbone. Coldplay a décidé d’arrêter de tourner tant qu’il n’atteignait pas les zéro émissions. Massive Attack a lancé une étude majeure pour calculer l’impact de l’industrie musicale. Quant à vous, vous savez ce qu’il vous reste à faire : donner des concerts “unplugged” à vos voisins directs…

Trois questions à Ludwig Pinchart, guitariste de The Banging Souls, autoproclamé “premier groupe belge neutre en carbone”

Être un groupe zéro émission carbone, ça implique quoi?

Ça partait d’une volonté d’essayer de faire un petit effort à notre niveau. Via l’association Graine de vie, on a calculé nos émissions carbone pour la fabrication de l’album. Tu regardes où tu as acheté ton matos, s’il a été importé, tu fais une estimation de tes trajets, une estimation du coût carbone de l’utilisation d’un studio normal. C’est relativement global, pas assez précis je trouve. Mais je pense que c’est d’abord la démarche qui est importante. En fin de bilan, on nous propose de planter X arbres pour compenser les émissions. Ce n’est pas un grand acte, tout le monde peut le faire, c’est relativement facile. Ça ne demande pas beaucoup de contraintes. Mais à notre niveau, on essaie de faire ce qu’on peut. Tous les déplacements, ce qui coûte le plus en carbone, on ne les fait qu’à une bagnole, par exemple. Avec les aménagements nécessaires que ça suppose.

Vous vous êtes posé la question de l’impact du pressage, du streaming…?

Dans le bilan carbone, on a mis le pressage d’albums. Mais j’avoue qu’on n’a pas pensé au streaming. C’est vrai que ça a une influence, vu que ce sont des serveurs, alimentés, etc. Par contre on l’a fait pour le pressage, en fonction du nombre de CD produits. On n’a pas fait de vinyle parce qu’on n’a de toute façon pas assez de pognon. Et puis je ne suis pas sûr qu’on aurait gagné beaucoup d’argent avec. On est en autodistribution. 

Bien avant le confinement, vous avez lancé votre concept de “Home sessions”, soit des concerts à domicile pour lesquels vous vous chargez de tout. Et ça a l’air de marcher…

Le principal, qu’on voie que le groupe tourne. Nos “Home sessions” sont aussi faites dans cette démarche-là: tous les produits qu’on utilise pour faire la bouffe sont des produits locaux, en circuit court, dont on vérifie la provenance. La copine de Piet (le batteur, NdlR) fait son pain avec des farines qui viennent de tout près. On prend des bières locales avec lesquelles on est associés. On reçoit chaque fois un artiste ou un exposant, comme la fois dernière, c’était des gens qui faisaient du beeswrap (ces emballages réutilisables à base de cire d’abeille, NdlR). Ces soirées marchent pas mal, on est chaque fois complets. Ça ne désemplit pas et c’est super, mais on n’a pas non plus envie de n’être cantonnés qu’à ça.