La crise, une occasion de penser une politique de quotas ambitieuse ?

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En temps de crise, une plateforme de labels indépendants réclame des efforts supplémentaires de la part de la RTBF en matière de diffusion d’artistes francophones sur ses ondes
. Si le service public assure faire plus que ce que ses missions légales lui imposent, la question de l’ambition des quotas actuels est bel et bien posée.

Dans la tornade de concerts et de festival annulés, les radios francophones peuvent-elles sauver les meubles pour les artistes de la Fédération Wallonie-Bruxelles, et a fortiori pour ceux que la crise vient frapper le plus durement, à savoir les artistes émergent·e·s, parfois sans statut ? Si tout le monde s’accorde à dire que les réponses à apporter pour soutenir la production musicale ne doivent pas s’y restreindre, il reste que les ondes – et qui plus est les ondes publiques – ont clairement un rôle à assumer en la matière. Fin mars, une quarantaine de labels indépendants et de structures d’appui au secteur musical, incluant Court-Circuit et la Fédération des Auteur·ice·s Compositeur·ice·s et Interprètes Réunis (Facir), ont tenu à le faire savoir en se fendant d’une carte blanche dont la teneur peut se résumer à peu près ainsi: « Programmateur·ice·s, c’est le moment ou jamais de diffuser nos artistes ». 

Alors que les livestreams de salon bricolés par des artistes invités à « trouver d’autres façons de s’exprimer » – dixit Sophie Wilmes, dans une déclaration aussitôt critiquée par le secteur – ne paieront ni les courses ni le loyer, passer leurs œuvres sur les ondes reste un moyen « gratuit » par excellence pour leur permettre de générer des droits et pour leur assurer un tremplin en vue de la reprise. 

Ingrid Bezikofer, fondatrice de l’agence Feral ART (Lilee, Tempête Bleue, Emeline Tout Court…) fait partie des instigatrices de la missive. « Très vite, je me suis rendu compte qu’on n’allait pas en sortir de sitôt, » dit-elle, en revenant sur la genèse de l’initiative, voulue comme ouverte. « Les radios sont finalement les seules à permettre des rémunérations aux artistes, puisque les salles de concert sont fermées et que tout ce qui est diffusion des artistes dans l’espace public n’a plus lieu. » En vue de faciliter la tâche des « heads of music » qui seraient en souffrance d’inspiration, un vaste répertoire (200 artistes, 500 titres environ) téléchargeable de musique indépendante made in Wallonie-Bruxelles a été envoyé à de nombreuses radios. 

Demi-teinte

Un mois de confinement plus tard, la même plateforme salue globalement les efforts de radios privées, tantôt locales, tantôt grand public. « La semaine dernière, BelRTL a diffusé Dalton Telegram, Rive, et CELENASOPHIA, des artistes que l’on n’a pas l’habitude d’entendre chez eux » illustre par exemple Julien Farinella, signataire de la lettre ouverte au nom de l’agence Art-I (Noa Moon, Yew, Balimurphy…), en saluant le passage hertzien d’artistes « de la maison ».

Le bilan est néanmoins beaucoup plus critique en ce qui concerne le service public, où les attentes étaient aussi nettement supérieures. Entre-temps, la RTBF a fait valoir une série d’efforts « spécial crise ». Entre des showcases quotidiens d’artistes francophones sur Classic 21  et sur Pure FM, elle annonce, durant les vacances de programmation 100% FWB pour son émission Réveil Matin, diffusée entre 5 et 6h et supposée mettre l’accent sur les talents émergents. Un coup d’œil sur cette playlist « découverte » permet d’y découvrir des artistes comme Bora Boris, Blu Samu ou Glass Museum, côtoyer les Girls In Hawaii, Adamo et Brel. 

Cette dernière annonce a catalysé la plupart des reproches, tantôt pour son heure de diffusion (qui, en plus d’atteindre une maigre audience en direct, génère des droits « de nuit », de valeur deux fois moindre qu’en horaire de journée) tantôt pour son audace. « Cette réponse est vraiment irrespectueuse, pour le dire poliment. Tout le monde a été dépité par cette réaction tiède, même si les labels ne veulent pas se fâcher avec la RTBF, car ils veulent rester en contact avec les programmateur·ice·s, » déplore Fabian Hidalgo, de Facir. Pour Julien Farinella, l’heure n’est effectivement pas aux petits ajustements. « Ce que l’on veut, ce n’est pas qu’iels nous montrent qu’iels font leurs job, mais qu’iels en fassent plus. L’idée n’est pas de développer des nouveaux artistes pendant la crise mais de mettre un lumière des artistes qui étaient déjà fragilisés avant les annulations des concerts. Et la diffusion d’un titre n’est pas suffisante. Nous avons besoin de plusieurs diffusions par artiste pour qu’iels puissent bénéficier d’un réel apport des radios. Pour cela, il faut forcément rendre un temps d’antenne à nos productions et diminuer la rotation des grosses pointures qui monopolisent la majeure partie du temps de grande écoute, sinon on n’arrivera jamais à la diversité que l’on ne cesse de réclamer. »

Quid des sous-quotas ?

La RTBF, elle, fait valoir ses chiffres, qu’elle a bien voulu nous transmettre. Chiffres qui témoignent, il est vrai, d’un sursaut des produits labellisés « Fédé » dans sa programmation de crise. L’effort est surtout visible sur la Première, qui a diffusé 34% d’artistes FWB sur 24h et 22,5% entre 6-22h (l’effet «Réveil Première » est ici bien visible), pour une moyenne de 15,6% en 2019 pour la plage de jour. A l’inverse, la marge est nettement moins sensible pour Pure, qui a diffusé 18% de sons « Wallonie-Bruxelles » sur la tranche 06-22h, contre 16,69% de moyenne en 2019. Pour Bernard Dobbeleer, chargé de projets sur les contenus musicaux à la RTBF, ces chiffres sont néanmoins la preuve que l’effort de guerre est là. « Tout ce que je peux vous dire, c’est que les quotas auxquels nous sommes soumis sont largement supérieurs à ceux des radios privés, qui est de 4,5%. Et nous faisons pratiquement le double de ce que nous devons faire. Pas parce que l’on est obligé, mais parce que nous sommes passionné·e·s, » fait-il valoir, rappelant de surcroit la création de Jam, webplayer orienté « alternatif » discrètement apparu l’an dernier.

D’aucuns rétorquerons qu’il s’agit là de la moindre des choses, au regard des missions imputées au service public. Avec un seuil de 12% de diffusions FWB imposé à ses chaînes principales en tranche 24H (et 6% pour Classic21), les efforts réclamés à la RTBF restent effectivement très éloignés de ceux qui visent la VRT. En 2018, celle-ci pouvait se targuer d’avoir diffusé en radio, toutes stations confondues, 26,2% d’artistes flamands, pour un quota imposé de 25%. 

Il faut aussi noter qu’en dépit des exemples vertueux évoqués à la volée par la RTBF – Romano Nervoso, Mugwump ou encore Glass Museum, des artistes « diffusés récemment alors qu’on ne les entend jamais ailleurs » – pour illustrer ses efforts, ces chiffres ne disent pratiquement rien de la proportion de l’assiette qui est occupée par les blockbusters des ondes, ni de la place laissée à la véritable découverte. C’est d’ailleurs l’une des raisons qui pousse la Facir à réclamer une politique davantage contraignante en la matière.  « On veut non seulement un alignement sur la Flandre, mais il faut aussi créer plus de diversité, avec des sous-quotas pour des artistes qui sont moins diffusés, » rappelle Fabian Hidalgo. Des normes de diffusion imposées pour les artistes ne figurant pas dans le top 100 ou pour les artistes dont le premier album n’aurait pas encore 3 ans d’âge sont des pistes concrètement évoquées pour tendre vers un meilleur partage des espaces de diffusion. 

La balle est dans le camp du politique, qui jusqu’ici ne s’en est jamais vraiment saisie. La négociation du contrat de gestion de la RTBF qui aura lieu sous cette législature laissera-t-elle de la place à la discussion sur ces points ? La position livrée par le cabinet de Bénédicte Linard (qui dispose de l’opportunité rare de cumuler les portefeuilles Médias ET Culture) reste pour l’heure timide. « Nous ne sommes pas fermés aujourd’hui à ces différentes pistes, » nous répond-il par mail. « D’autres pourraient être explorées, mais priorité à ce stade à la concertation avec le secteur et avec la RTBF. » 

23 avril 2020

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Caroline Bertolini

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