Quel est l’état des lieux des politiques de programmations inclusives ?
Les données récentes et les témoignages d’acteurs du secteur musical en Fédération Wallonie-Bruxelles révèlent un déséquilibre persistant dans la représentation des genres au sein de la programmation artistique. Selon les derniers chiffres publiés de Scivias, les artistes femmes et les personnes non-binaires restent largement sous-représentées dans les festivals et les salles de concert. En 2022, seulement 21 % des artistes programmés étaient des femmes, tandis que les personnes non-binaires représentaient moins de 1 %*. En 2023, les chiffres évoluent avec 33,4% de femmes et 0,3% de personnes non-binaires dans les programmations. Le dernier rapport publié cette année montre encore une légère évolution de ces chiffres avec une augmentation de 1,5% pour les femmes cisgenres et 0,4% pour les personnes non-binaires et transgenres.
Cependant, malgré ce constat, plusieurs organisations de festivals et de salles de concert, tels que l’Atelier 210 et le Botanique, prennent des mesures concrètes pour rendre leur programmation plus inclusive. Eve Decampo, responsable de la programmation à l’Atelier 210, souligne l’importance de ces initiatives et l’engagement nécessaire pour garantir une meilleure représentativité des femmes et des minorités de genre.
Nous sommes signataires de la charte Scivias et nous nous engageons à suivre scrupuleusement les recommandations du tableau de parité qu’ils ont conçu, qui est d’ailleurs très bien réalisé. Nous comptabilisons avec rigueur nos efforts dans ce domaine. Notre engagement en faveur de la parité est clair : au moins 50 % des artistes sur scène doivent être des personnes sexisées, c’est-à-dire des personnes issues de groupes traditionnellement marginalisés en raison de leur genre.
Bien que cette transformation nécessite des ajustements, elle représente une véritable opportunité pour innover. Les salles et festivals, confrontés à des réalités économiques complexes, peuvent y voir un levier d’attractivité et de renouveau. Comme le souligne Olivier, programmateur au Botanique, programmer des artistes moins établis ou issus de minorités permet d’élargir les horizons et de capter de nouveaux publics.
Le Botanique fait partie des membres fondateurs de Scivias, aux côtés de six autres institutions fédérales de la Fédération Wallonie-Bruxelles dont Court Circuit. Cela fait maintenant quatre ans que nous avons mis en place une analyse rigoureuse de notre programmation, aussi bien pour l’année que pour le festival. Nous nous alignons également sur le rapport Scivias, qui évalue les équilibres de parité de genre dans les programmations. Pour les Nuits Botanique, ce rapport sera bientôt publié. J’ai moi-même participé à ce processus de comptage, comme pour tous les festivals, et je peux dire que nous sommes proches de la parité cette année. Cela dit, il est important de noter que la parité peut varier d’une année à l’autre, en fonction des confirmations d’artistes.
Nous faisons très attention à ces questions, même si les confirmations d’artistes ne suivent pas toujours les prévisions. Mais il ne faut pas se cacher derrière ça : si on veut faire un effort, on peut le faire. Dire que l’offre est limitée est souvent une excuse pour éviter le changement. Il est toujours possible de faire bouger les choses, sans chercher à se glorifier, mais simplement en agissant. Le but n’est pas de se mettre en avant, mais de montrer par l’action que c’est possible, sans donner de leçons. Chez nous, c’est un sujet de discussion permanent.
Seulement 16,7% de candidates
Du côté de Court Circuit, les taux de participation par genre au Concours Circuit, le plus important dispositif d’appels à candidatures pour les projets artistiques, semble stagner depuis plusieurs éditions. En suivant la méthode de comptage de Scivias, en 2023 sur 467 propositions, 78 étaient des projets féminins. Ce qui équivaux à seulement 16,7% **. Cependant, ces chiffres, non exhaustifs, illustrent encore peu de recul quant à cet aspect :
Notons que les finalistes du concours tendent à être paritaires. En 2022, la finale comptait deux projets féminins et deux masculins. En 2023, trois projets féminins et deux masculins, et en 2024 (Le 6 décembre prochain au Botanique !), la tendance est la même avec deux projets féminins et deux masculins.
L’inclusivité ne se limite pas à des statistiques, mais traduit également une volonté de repenser les normes culturelles et sociales qui structurent la scène musicale. Selon une étude d’Ipsos commandée par le Centre National de la Musique (CNM) en France, les genres musicaux eux-mêmes sont encore souvent perçus comme genrés. Cette étude invite à une réflexion sur la manière dont la musique est catégorisée et sur les stéréotypes associés à chaque genre musical, en particulier chez les moins de 25 ans.
Musique : les genres sont-ils genrés ?, Libération, 2023.
Encourager l’inclusivité dans la programmation artistique dépasse le simple cadre d’une obligation morale ; cela représente également un moteur d’innovation et de diversification pour les festivals et les salles de concert. Toutefois, tandis que les grands festivals semblent parfois avoir du mal à concilier inclusivité et rentabilité, les structures plus modestes, telles que les salles de proximité ou les petits festivals, disposent d’une agilité qui facilite l’accueil de ces changements. En décompartimentant les genres musicaux, ces espaces favorisent une véritable ouverture. Ainsi, cette approche contribue à dessiner un futur pour la scène musicale plus riche, diversifié et équitable.
* (La) « méthode de comptage prend en compte le genre des personnes sur scène ainsi que la place – plus ou moins grande – de chaque membre au sein du groupe musical. Pour les festivals de musiques actuelles, le genre des artistes est comptabilisé proportionnellement à l’ensemble des membres composant le projet musical ; s’ajoute à ce pourcentage la prise en compte d’un lead artistique lorsqu’il existe. »
** 18,4% en 2022 et 19,9% en 2024