Musique & Numérique : Révolutions en marche et défis à venir

Accueil / Ressources / Musique & Numérique : Révolutions en marche et défis à venir

Le secteur musical n’a cessé d’évoluer au fil des décennies, porté par des avancées technologiques qui ont transformé aussi bien les modes de production que de diffusion. De l’essor du CD au streaming, en passant par la montée en puissance des réseaux sociaux et l’émergence de l’intelligence artificielle, les artistes et les professionnels du milieu ont dû s’adapter à un paysage en perpétuelle mutation.

C’est dans ce contexte que s’est tenue la troisième rétrospective dédiée au numérique et à l’innovation, organisée par Court-Circuit et la Médiathèque Nouvelle, dans le cadre du Music In Progress 2025. À travers la question « Passé, présent, futur – quelles révolutions en marche ? », cette rencontre a permis d’analyser l’évolution des supports, les défis actuels liés au numérique et les perspectives d’avenir.

D’une industrie matérielle à une consommation dématérialisée

L’histoire récente de la musique est marquée par une transformation majeure : le passage d’un modèle basé sur le support physique (vinyle, cassette, CD) à une diffusion entièrement numérisée. Une révolution qui a bouleversé les usages, tant pour les artistes que pour les publics.

Marie-Laurence Dubois, archiviste et autrice du livre Court-Circuit 1992 – 2022 : 30 de Musiques Actuelles en Wallonie et à Bruxelles, a rappelé l’époque où les artistes envoyaient des cassettes et des CD pour soumettre leur candidature au Concours-Circuit. Si ces supports permettaient une conservation tangible de la musique, ils étaient également contraignants en termes de stockage et d’accessibilité. Avec l’avènement du numérique, ces contraintes ont disparu : plus besoin de transporter des piles de disques, la musique est désormais disponible instantanément et en toute mobilité.

Pourtant, ce basculement vers le tout-digital a soulevé de nombreuses interrogations. Sophian Fanen, journaliste et auteur du livre Boulevard du Stream, a mis en avant une mutation profonde du rapport à la musique. Autrefois associée à un objet que l’on possédait, elle est aujourd’hui perçue comme un service accessible à la demande. Cette transformation a des conséquences directes sur l’économie du secteur : si l’accès à la musique n’a jamais été aussi simple, les modèles de rémunération des artistes se sont considérablement fragilisés.

Streaming et algorithmes : un modèle à bout de souffle ?

Si le streaming a ouvert la porte à une démocratisation sans précédent de la musique, il a également créé de nouvelles inégalités. Loin de garantir une juste rémunération aux créateurs, ce système est aujourd’hui dominé par une logique de volume où seuls les artistes les plus streamés parviennent à générer des revenus significatifs, à l’instar de Beyoncé ou Taylor Swift.

Les chiffres sont éloquents : un artiste accumulant 95 000 écoutes sur un an vendra seulement 500 morceaux et 150 albums. « Ce n’est pas avec ça qu’on peut vivre », souligne Alain Lefèbvre dans une interview vidéo. À l’inverse, des artistes comme Daft Punk, avec leurs 130 millions de streams, perçoivent à peine 18 000 euros. Les labels et les artistes peuvent difficilement être rémunérés des streams, tout particulièrement après retiré les commissions des plateformes ou de la SABAM.

Face à ces enjeux, Coralie Doyen, spécialiste de l’innovation chez Wallifornia Music Tech, a insisté sur la nécessité d’explorer des modèles alternatifs. Elle accompagne d’ailleurs de nombreuses start-ups développent des outils d’expérimentation au service des artistes et du secteur musical.

Mais au-delà de la question économique, le streaming soulève aussi un enjeu de diversité culturelle. Les algorithmes des grandes plateformes tendent à favoriser les artistes les plus populaires, rendant la visibilité des nouveaux talents de plus en plus difficile. Les algorithmes fonctionnent comme des bulles de filtrage : ils enferment les auditeurs dans des recommandations qui tournent en boucle, sans leur permettre d’explorer réellement.

Réseaux sociaux : un levier incontournable mais instable

Dans un contexte où l’attention du public est constamment sollicitée, les artistes doivent redoubler d’ingéniosité pour se faire remarquer. Longtemps dominés par Facebook et Instagram, les réseaux sociaux sont aujourd’hui en pleine mutation. L’essor de TikTok, Mastodon ou BlueSky redessine la carte de la visibilité musicale, avec des logiques d’interaction différentes.

Il a été souligné que, malgré la montée en puissance de nouvelles plateformes, Facebook conserve un certain rôle important pour la gestion des événements et la communication avec les professionnels. Pourtant, l’avenir du paysage numérique demeure incertain, et les artistes doivent constamment s’adapter à ces évolutions.

Pour Coralie Doyen, la solution réside dans la diversification des stratégies : plutôt que de dépendre exclusivement des géants du numérique, il est essentiel de créer des communautés sur des plateformes indépendantes comme Discord. Cette approche permet non seulement de renforcer le lien avec les fans, mais aussi d’éviter d’être à la merci des changements d’algorithmes imposés par les grandes entreprises.

L’intelligence artificielle : opportunité ou menace pour la création musicale ?

Alors que l’intelligence artificielle s’infiltre progressivement dans le monde de la musique, elle soulève des interrogations majeures quant à son impact sur la créativité et la rémunération des artistes.

L’IA peut-elle réellement composer de la musique avec une âme ? Si la technologie est capable d’imiter des styles existants, elle reste dépendante des créateurs humains qui alimentent les bases de données. L’IA peut être utilisée pour assister les artistes dans la composition, la production et le mixage. Des outils comme AIVA ou Amper Music permettent déjà de générer des morceaux en quelques secondes, ouvrant de nouvelles perspectives, mais aussi de nouvelles menaces.

La question des droits d’auteur devient alors essentielle : comment garantir une juste rétribution aux artistes si les intelligences artificielles s’inspirent librement de leurs œuvres ?

Un autre enjeu mis en valeur lors de cette discussion est celui de la préservation de la mémoire musicale. À l’ère du tout-numérique, il est vital de conserver des archives physiques. Sans cela, nous risquons de voir disparaître une partie de notre patrimoine culturel.

Conclusion : quelles stratégies pour les artistes d’aujourd’hui ?

À travers cette rétrospective, une certitude s’impose : l’industrie musicale est en constante mutation, et les artistes doivent naviguer entre innovation et résilience.

Face aux modèles économiques fragiles du streaming, à la volatilité des réseaux sociaux et aux défis éthiques posés par l’IA, les solutions résident dans la diversification des stratégies :

  • Conserver des copies physiques de ses œuvres pour éviter une disparition purement numérique.
  • Explorer des alternatives au streaming traditionnel, comme le financement participatif ou les plateformes de niche.
  • Développer une présence sur plusieurs réseaux sociaux, en misant sur des outils indépendants des grandes multinationales.
  • Rester curieux et ouvert à l’innovation, sans pour autant sacrifier l’authenticité artistique aux tendances du moment.
  • Rester connectés avec ses publics en dehors du numérique notamment via les concerts et les lieux de diffusion

 

L’avenir du secteur musical se joue aujourd’hui dans la capacité des artistes et des professionnels à anticiper et à s’adapter aux nouvelles réalités du numérique. Plus que jamais, il est essentiel de bâtir des modèles plus justes et plus durables, où la technologie sert la création plutôt que de la cannibaliser.

Sources supplémentaires de cet article :